a) L’expérience de la goutte de poix

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pitch drop experiment

 di Frédéric Forte

Dans l’expérience de la goutte de poix certaine quantité de poix disons de poix qui est le nom générique donné à une matière extrêmement visqueuse asphalte résine goudron bitume est d’abord chauffée puis versée dans un entonnoir dont on a pris soin d’obstruer le cou pour que trois années durant la poix refroidisse et se stabilise à température ambiante après quoi l’entonnoir est débouché placé sous une cloche de verre et l’on peut alors commencer à observer l’écoulement du liquide puisque contre toute apparence c’en est un voir photo cela se passe à l’Université du Queensland à Brisbane Australie en 1927 cela se passerait n’importe où ailleurs que ça reviendrait à peu près au même il existe depuis 1944 une expérience de la goutte de poix au Trinity College de Dublin et une expérience plus ancienne a récemment été découverte à l’Université d’Aberystwyth Pays-de-Galles à peine 85 miles au nord de laquelle se trouve sur l’île d’Anglesey le village de Llanfairpwllgwyngyllgogerychwyrndrobwllllantysiliogogogoch dont le nom signifie l’église de sainte Marie dans le creux du noisetier blanc près d’un tourbillon rapide et l’église de saint Tysilio près de la grotte rouge expérience qui aurait débuté en 1914 mais dont la poix excessivement visqueuse n’a pour l’instant donné aucune goutte une goutte se forme très lentement parce que la poix disons la poix est environ cent mille milliards de fois plus visqueuse que l’eau gonfle très lentement jusqu’à se détacher de l’entonnoir au bout d’une dizaine d’années la première goutte tombe en décembre 1938 huit ans après qu’on ait octobre 1930 retiré le bouchon la deuxième goutte huit ans plus tard février 47 la troisième en avril 54 sept ans les suivantes en mai 62 août 70 avril 79 juillet 88 novembre 2000 huit huit neuf neuf et douze ans la dernière en date la neuvième tombe est tombée le 24 avril 2014 quasiment quatorze années après la précédente l’allongement notable de la durée des chutes à compter de 1988 pouvant s’expliquer par l’installation à cette date dans la pièce de l’air conditionné occasionnant c’est une supposition une légère baisse de la température moyenne pour un total provisoire de neuf gouttes en près de quatre-vingt-cinq ans sachant qu’il en ira ainsi bon an mal an toutes les décennies jusqu’à épuisement de l’échantillon de poix disons de poix dans une centaine d’années environ sachant que cela se produira forcément se produit à chaque fois que l’on soit présent ou pas dans la pièce au moment où la goutte se détache et de fait aucun des scientifiques supervisant l’expérience tour à tour Thomas Parnell John Mainstone aujourd’hui Andrew White n’a jamais pu assister en direct à la séparation d’une goutte mais l’expérience est désormais filmée vingt-quatre heures sur vingt-quatre ça marche même quand ça ne marche pas sans que cette goutte n’interagisse d’ailleurs en aucune manière avec quoi que ce soit d’autre guerre mondiale guerre froide conquête spatiale ascensions de l’Everest des Beatles premier deuxième chocs pétroliers chute du mur de Berlin bug de l’an 2000 11 septembre etc. que l’observateur qui finit éventuellement par se demander étant donné qu’il en a encore pour longtemps s’il a réellement ici affaire à une succession d’événements discrets dont l’observation serait précisément déclenchée par l’occurrence de ce qu’on appelle un événement par exemple la chute d’une goutte de poix ou bien à un phénomène continu pur écoulement de temps en quelque sorte puisque l’objet de l’expérience est au fond de mesurer la viscosité d’un liquide que l’on exprime en pascal-seconde et que justement la seconde dont le Bureau International des Poids et Mesures nous dit qu’elle n’est plus définie aujourd’hui en fonction de la révolution de notre planète autour du Soleil mais par rapport à une propriété de la matière la seconde est la durée de neuf milliards cent quatre-vingt-douze millions six-cent-trente-et-un mille sept cent soixante-dix périodes de la radiation correspondant à la transition entre les niveaux hyperfins F=3 et F=4 de l’état fondamental 6S½ de l’atome de césium 133 est l’unité de base la plus commode pour mesurer du temps l’une des réponses possibles se situant quelque part entre les deux un système hybride dont la caractéristique première serait l’étirement pas un étirement infini non parce qu’il arrive toujours un moment où le liquide casse mais un étirement suffisamment prolongé dans le temps pour que celui qui en serait le spectateur occasionnel passé entre les gouttes en vint sérieusement à douter n’étaient celles déjà tombées et conservées en témoignage d’un avant dans un bocal à proximité qu’il existât effectivement la certitude d’un après c’est-à-dire un écoulement réel de la matière placée dans l’entonnoir qui aboutît inévitablement à une chute.